Des expertes mandatées par l’ONU ont exigé lundi une enquête après des accusations d’exécutions et de viols par les forces israéliennes contre des femmes et filles palestiniennes à Gaza et en Cisjordanie. Elles dénoncent des “traitements inhumains et dégradants”, des agressions sexuelles, et des détentions et exécutions arbitraires.
Les accusations portées sont graves. Des expertes de l’ONU ont rapporté, le 19 février, des accusations de violences, notamment sexuelles, visant des femmes et des filles palestiniennes à Gaza et en Cisjordanie, imputées aux forces israéliennes. Elles exigent une “enquête indépendante et impartiale” et pressent Israël à coopérer.
Exécutions et détentions arbitraires, agressions sexuelles, traitements “inhumains”… Nommées par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, les sept expertes indépendantes s’alarment de “violations flagrantes des droits humains” basées sur des “allégations crédibles”.
Pour collecter ces informations, l’équipe de sept expertes s’est appuyée sur une variété de sources, y compris “des témoignages de victimes et de témoins oculaires, mais aussi d’organisations civiles ou internationales travaillant avec les civils”, explique Reem Alsalem, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences.
“Nous avons ensuite recoupé ces informations avec d’autres sources pour évaluer leur crédibilité.” Elle précise avoir reçu ces données directement par e-mail, par téléphone ou par des outils comme Zoom et souligne qu’il est “souvent impossible de donner plus de détails, car cela pourrait mettre en danger les sources”.
Exécutions et détentions arbitraires
Les femmes sont particulièrement touchées depuis le début de la guerre à Gaza. Femmes et enfants représentent 70 % des victimes du conflit entre Israël et le Hamas, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU. Au moins deux mères sont tuées toutes les heures depuis le 7 octobre, selon l’Alerte Genre de l’ONU Femmes.
Parmi les témoignages reçus, les expertes font état de femmes et de filles qui auraient été “arbitrairement exécutées à Gaza, souvent avec des membres de leur famille, y compris leurs enfants”, alors que les victimes se trouvaient dans des lieux de refuge ou qu’elles tentaient d’échapper aux forces armées.
“Certaines d’entre elles auraient tenu des morceaux de tissu blanc [symbole de la paix, NDLR] lorsqu’elles ont été tuées par l’armée israélienne ou des forces affiliées”, précise le communiqué. Une vidéo publiée et vérifiée par le site Middle East Eye en janvier montrait une femme, Hala Rashid Abd al-Ati, abattue par balles, alors que son petit-fils arborait un drapeau blanc et qu’ils tentaient de s’échapper de la ville de Gaza.
En plus des exécutions, l’armée israélienne aurait procédé depuis le 7 octobre à la “détention arbitraire de centaines de femmes et de filles palestiniennes”, dont des défenseuses des droits humains, des journalistes et des humanitaires, selon les expertes de l’ONU, dans un contexte où le recours à la détention administrative a explosé. Cette mesure d’urgence permet l’incarcération sans inculpation ni procès pour une durée indéterminée. Des témoignages font état de “traitements inhumains et dégradants” : passages à tabac, privation de nourriture, de médicaments et de produits d’hygiène féminine. Un cas de femmes détenues dans une cage à Gaza, exposées à la pluie et au froid sans nourriture, a été rapporté.
Reem Alsalem attire l’attention sur un point non inclus dans le communiqué de presse : certaines personnes détenues sont considérées par Israël comme des “combattants illégaux”, ce qui les place en dehors du cadre de la loi. Elle souligne que “la plupart d’entre elles n’ont jamais comparu devant un tribunal militaire” et que “certaines femmes ont été arrêtées à leur domicile ou dans la rue à Gaza, uniquement sur la base d’allégations de liens avec le Hamas, sans aucune preuve. On peut donc dire qu’elles ont été kidnappées par les autorités israéliennes.”
Au moins deux détenues violées
Parmi les autres accusations proférées contre l’armée israélienne, de “multiples formes d’agressions sexuelles”. Les rapporteuses de l’ONU évoquent des viols qu’auraient subis au moins deux détenues. D’autres détenues ont raconté avoir subi des humiliations et des traitements dégradants, se faisant “déshabiller et fouiller par des officiers masculins de l’armée israélienne”. Dans cette vidéo d’AJ Plus France, vérifiée par les Observateurs de France 24, on peut aperçoit un groupe de femmes parmi les détenus mis à nus et bâillonnés dans un stade.
La difficile documentation des violences sexuelles s’explique par le peu de journalistes et d’ONG présents à Gaza et un personnel gazaoui surchargé et confronté aux mêmes difficultés que la population. Pierre Motin, responsable plaidoyer à la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, souligne aussi la culture du silence et la peur qui règnent. “Cet aspect était méconnu et difficile à documenter, car il est difficile pour les victimes de décrire ce qu’elles ont vécu”, explique-t-il. “Il faut plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour que des informations soient révélées dans le cas de violences sexuelles.”
Ces violations du droit international humanitaire sont passibles de poursuites judiciaires en vertu des lois internationales régissant les conflits armés. Plusieurs instances internationales s’attaquent déjà à la question des violations des droits humains dans les territoires palestiniens. La Commission d’enquête spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens occupés, créée en mai 2021, a notamment ouvert deux enquêtes : l’une sur les événements du 7 octobre et leurs suites, et l’autre sur les allégations d’agressions sexuelles, commises contre des Israéliens ou des Palestiniens. “La collaboration avec cette commission indépendante est essentielle pour faire la lumière sur ces crimes”, martèle Reem Alsalem.
Recours judiciaires
D’autres actions judiciaires sont menées au niveau international. En mars 2021, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête qui porte sur des crimes de guerre présumés dans les Territoires palestiniens au cours de la guerre de Gaza de 2014, par les forces israéliennes, le Hamas et des groupes armés palestiniens. “Les éléments fournis par les expertes de l’ONU doivent être ajoutés à cette enquête, le Bureau du procureur de CPI étant compétent pour enquêter sur toutes les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire à Gaza”, appelle Pierre Motin de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine. “Nous souhaitons que la France exprime clairement son soutien à cette enquête comme elle l’a déjà fait pour l’enquête de la CPI en Ukraine.”
Une autre affaire est actuellement en cours devant la Cour internationale de justice (CIJ), principal organe judiciaire de l’ONU. Le tribunal enquête sur les allégations selon lesquelles l’armée israélienne aurait commis des “actes de génocide” contre le peuple palestinien à Gaza, une poursuite intentée par l’Afrique du Sud le mois dernier. Les experts interrogés par France 24 considèrent que les accusations rapportées par les expertes de l’ONU pourraient être incluses dans cette enquête.
Me Johann Soufi, avocat spécialisé en droit pénal international, insiste sur l’impératif d’Israël d’ouvrir une enquête, dès lors que “les allégations et les conclusions des expertes, basées sur des témoignages qu’elles ont considéré crédibles, sont rendues public”. Ce rapport des Nations unies “renforce l’obligation des juridictions israéliennes de s’autosaisir”, souligne cet ex-chef du Bureau des affaires juridiques de l’Unrwa.
L’avocat rappelle aussi que des enquêtes internes au sein de l’armée israélienne peuvent être ouvertes “pour faire la lumière sur ces faits qui sont extrêmement graves à l’encontre des soldats israéliens”. De plus, il rappelle que les juridictions nationales de pays comme la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis qui ont des ressortissants dans l’armée israélienne “ont le devoir d’enquêter sur des allégations de crimes commis par leurs ressortissants, quelle que soit la localisation desdits crimes.” D’autres modes de responsabilité que celles de l’auteur direct peuvent également être envisagés. “La responsabilité du supérieur hiérarchique peut être engagée s’il n’a pas puni ou prévenu le crime”.
De son côté, la représentation israélienne auprès de l’ONU à Genève a balayé ces accusations dans un message posté sur X, déclarant que ces allégations étaient “méprisables et sans fondement” et affirmant que les experts étaient “motivés par leur haine pour Israël, et non par la vérité”.
Depuis la publication du communiqué de presse lundi, Johann Soufi s’étonne de la “dissonance totale” entre la “ferme et légitime condamnation des accusations de viol par le Hamas lors de l’attaque du 7 octobre” et “l’absence de réaction des médias et des politiques” face à des accusations similaires dénoncées par les expertes de l’ONU. L’avocat dénonce ce “double standard” qui, pour des faits comparables, “exige une réponse juridique, politique et diplomatique identique”. Et Reem Alsalem de conclure : “Notre mission est de porter à l’attention du monde l’existence de ces situations horribles et de souligner qu’elles sont inacceptables.”
SOURCE:AFP